"L'oreille interne" - Robert Silverberg


Depuis le temps que je souhaitais lire ce grand classique de la SF ! Un livre que j'ai dévoré et adoré de bout en bout. Un roman qui devrait figurer dans les classiques tout court, pas juste ceux de la SF.


+++ La quatrième de couverture +++

David Selig, Juif new-yorkais d'une quarantaine d'années, se considère comme un raté. Il est pourtant télépathe et pourrait profiter de ce don pour faire fortune, conquérir - et garder ! - les plus belles femmes... Mais non, rien à faire, il estime être un monstre tout juste bon à faire le nègre sur des devoirs d'étudiants, incapable de réussir sa vie. La dernière preuve en date : ce talent qu'il déteste tant, mais qui est finalement son seul lien avec le reste de l'humanité, est en train de le quitter ! Apeuré à l'idée de se retrouver seul avec lui même, Selig nous conte sa misérable existence. Grand roman psychologique, plein d'humour et de mélancolie, L'oreille interne est peut-être le plus beau livre de Robert Silverberg et à coup sûr un chef-d'œuvre de la science-fiction.


++ Mon avis ++

Robert Silverberg est un auteur connu de la SF. Un très bon auteur mais qui a aussi délivré de mauvais livres dans ses périodes d'écritures alimentaires. Cependant, des livres comme "L'oreille interne", "Les monades urbaines" et "L'homme dans le labyrinthe" restent comme des classiques du genre. Heureusement, il me reste encore plein de bons livres à lire de Silverberg.

Dans "L'oreille interne", Robert Silverberg nous fait suivre l'histoire de David Selig. Ce jeune homme possède un don que d'autres n'ont pas : il peut lire dans les esprits de tout un chacun. Un don dites-vous ? Un malheur pour David Selig car "L'enfer c'est les autres" comme le disait Sartre. Savoir ce que l'autre pense réellement de vous et être submergé par les pensées des autres dans la rue, est-ce vraiment un don que l'on souhaite avoir ? Pas pour David Selig qui se considère comme un monstre, un phénomène de foire. La quarantaine bien faite, David est un vrai raté. Pour survivre, il use de ses compétences et connaissances littéraires pour écrire, contre rémunération, les devoirs des étudiants à l'université du coin sur Kafka ou Ulysse.

Tout au long du roman, David Selig va revenir sur différents moments de son passé. De sa petite enfance, chez le psychiatre où l'on testait son intelligence "supérieure" pour ensuite le refiler une petite soeur qu'il ne voulait pas, sur le conseil de cet hypocrite psychiatre. Cette soeur Judith, avec qui il gardera une relation haine-amour très destructrice. Souvenir de son adolescence où il tentait désespérément de trouver l'amour chez qui il savait ne rien pouvoir recevoir en retour. Souvenir de cette rencontre avec cet autre télépathe qui, à l'inverse de Selig, vit très bien de son pouvoir et profite allègrement de celui-ci. Souvenir d'amour avec Toni, cette jeune fille partie après une soirée d'essai de psychotropes, cette soirée où par ses pouvoirs télépathiques c'est David qui a eu le mauvais trip tout en pourrissant l'expérience de Toni. Souvenirs également de son amour perdu avec Kitty Holstein, le seul réel amour de David Selig, partie car ce dernier essayait de faire d'elle l'image de ce qu'il attendait d'une personne aimée. Souvenirs de, souvenir de et souvenirs de...

Le livre n'est pas porté par un scénario aventureux, mais sur tout autre chose : les errements et monologues d'un anti-héros dans sa vie de tous les jours. Et c'est là que tient toute la force de ce roman. Robert Silverberg, au tournant de 1968, nous fait lire les états d'âme et le mal-être d'un David Selig qui ne supporte pas sa différence dans une période en pleine ébullition et libération. A tout âge et en toute période nous vivons des crises existentielles, ce qui fait que nous pouvons nous identifier facilement à ce personnage loin des héros de la littérature SF habituelle.

Écrit essentiellement à la première personne du singulier, ce roman autobiographique est réellement prenant et immersif. Robert Silverberg réussit un tour de force stylistique impressionnant, passant de la première personne à la troisième, passant de l'autobiographie aux lettres intimes, passant des études littéraires pour étudiants aux crises existentielles... Par ailleurs Robert Silverberg éclate son récit dans différentes périodes de vie de David Selig, du présent au passé, on traverse ainsi les âges et les errements de notre anti-héros, de son enfance à l'âge adulte. Robert Silverberg interpelle avec son récit savamment construit, il nous incite au voyeurisme en observant la vie de David Selig, mais il nous emmène par moment dans des spirales complètement dingues, son écriture s'emballe quand il le faut, la vrille tourne et on lit les lignes les unes après les autres, emporté par le rythme et l'immersion dans la vie d'un autre. Dès lors, c'est nous qui devenons le télépathe, lisant dans l'esprit de David Selig, lisant ses monologues, parfois ses interpellations et ses dédoublements de personnalité.

"L'oreille interne" est très certainement un grand roman. Pas seulement un grand roman de SF, mais un grand roman tout court. De par son vocabulaire accessible, son écriture immersive, rythmée, de par son personnage au mal-être existentielle, Robert Silverberg écrit un livre qui touchera un large public. Certainement une belle porte d'entrée dans la SF, comme "Des fleurs pour Algernon", mais aussi un roman de son époque (1972), un roman de l'ébullition et de la crise existentielle, un roman plein d'énergie et euphorique aussi, que l'on peut facilement ranger à côté de John Fante ("Demande à la poussière") par exemple.

"L'oreille interne" est un roman intime, introspectif, euphorique, touchant et captivant en même temps. Bref, un grand roman !


"L'oreille interne" - Robert Silverberg "L'oreille interne" - Robert Silverberg Reviewed by Julien le Naufragé on jeudi, janvier 01, 2015 Rating: 5

7 commentaires:

  1. Un chef d'oeuvre, rien de moins. ;)

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  2. J'en avais aussi gardé un très beau souvenir, notamment celui d'une belle allégorie sur la vieillesse.
    Très bon billet. Bravo l'ami naufragé !

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  3. @ Lorhkan : On est bien d'accord.

    @ Marcel : Merci encore.

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  4. Je viens juste de finir de le lire. Le thème choisi et le style d'écriture sont complètement différents de ce que je connaissais de Robert Silverberg. Même si c'est un bon livre, j'ai moins accroché. Je préfère l'imaginaire du château de Lord Valentin ou des Chroniques de Majipoor.
    Mais Robert Silverberg est vraiment un grand Auteur.

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  5. @ Jean-Noël : Différent et c'est aussi ce qui m'a plu. Je n'ai pas encore lu le Château de Lord Valentin, cela viendra ;-) Merci pour ton commentaire.

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  6. Un sacré texte, et tu crois pas si bien dire pour le fait qu'il dépasse son cadre de SF, ma maman veut le lire !

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  7. @ Vert : Je l'ai offert à ma mère ;-) Mais je sais pas si elle aimera. On verra.

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