"Notre île sombre" - Christopher Priest

J'ai lu il y a peu "Le Prestige" de Christopher Priest : un livre que j'ai réellement adoré. Mais j'ai également eu le plaisir de croiser cet excellent auteur réellement sympathique aux Imaginales (2014). Le voir en conférence fut aussi un plaisir, un vieux bonhomme de la SF anglaise qui devient un pilier mondial du genre. Retour ici sur une de ses œuvres de jeunesse.


++ La quatrième de couverture ++


Je suis sale. J'ai les cheveux desséchés, pleins de sel, des démangeaisons au cuir chevelu. J'ai les yeux bleus. Je suis grand. Je porte les vêtements que je portais il y a six mois et je pue. J'ai perdu mes lunettes et appris à vivre sans. Je ne fume pas, sauf si j'ai des cigarettes sous la main. Je me saoule une fois par mois, quelque chose comme ça. La dernière fois que j'ai vu ma femme, je l'ai envoyée au diable mais j'ai fini par le regretter. J'adore ma fille, Sali y. Je m'appelle Alan Whitman...
Et je survis dans une Angleterre en ruine, envahie par des populations africaines obligées de fuir leur continent devenu inhabitable.
Notre île sombre est la version révisée du Rat blanc, une oeuvre «de jeunesse» datant de 1971. Se situant dans la droite ligne des romans catastrophe de J.G. Ballard et John Wyndham, Christopher Priest y dresse le portrait ironique d'une ancienne puissance coloniale colonisée à son tour. Plus de quarante ans après sa première édition, Notre île sombre n'a rien perdu de son pouvoir de fascination. Sa critique de l'arrogance des pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud est plus que jamais d'actualité.


+++ Mon avis +++


"Notre île sombre" est l'un des derniers livre de Christopher Priest paru chez Denoël - Lunes d'Encre (13 mai 2014). Une oeuvre de jeunesse de l'auteur datant de 1971 et préalablement publié sous le titre du "Rat blanc". Aujourd'hui, pour sa reparution, Christopher Priest a) révisé son texte (traduit par Michelle Charier), pour le rendre de plus en plus apolitique comme il l'explique dans l'introduction de son livre. 

"Notre île sombre" est un roman catastrophe. Aujourd'hui, vu la conjoncture, le style fleurit assez bien. Dans son roman, Christopher Priest va nous faire suivre un homme dans une Angleterre sombrant de plus en plus dans l'obscurité sociale. Ancien état colonialiste, les Royamues-Unis possédaient un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Depuis, les choses ont changé et dans le roman de Christopher Priest, l'Angleterre fait face à un afflux massif d'immigrants africains fuyants leur continent à l'agonie. D'abord c'est un gros navire qui s'échoue sur l'île anglaise, ensuite bien d'autres viendront. Les réfugiés seront de plus en plus nombreux à débarquer et la population locale devra y faire face. Deux camps se créent donc : ceux qui vont les aider et ceux qui s'y opposeront par peur de l'étranger. Au milieu de cela Alan Whitman évolue. Il tente de survivre, de protéger sa famille contre l'insécurité et la violence qui prend corps à partir du moment où l'île devient une zone de guerre. 

La structure du récit de Christopher Priest est assez intéressante. On va suivre Alan Whitman à différents moments. Chaque morceau de texte est un rapport à une période différente, alternant entre flashback, récit présent et futur (si l'on peut dire ça?). La structure du texte rajoute donc à la confusion qu'offre un état de catastrophe. Cela rajoute à l'ambiance du récit qui se livre à nous par moment, par flash, par scène.

Le ton utilisé est lui aussi très réussi. Christopher Priest donne à son personnage un ton relativement froid, presque distant. On est loin de l'émotivité à tout crin d'autres romans catastrophes. On est loin du post-apocalyptique d'action également. Christopher Priest nous livre l'histoire d'un homme qui tente de survivre, de protéger sa famille ou de la retrouver. Cette même famille qui se délite, ce même amour qui n'a jamais pris corps : un couple fissuré bien avant la catastrophe. Un ton distant comme la relation entre Alan et sa femme. C'est là que tient tout le récit finalement, dans cet histoire d'amour raté, dans cette vie gâchée, dans une relation étrange de cette homme avec une femme qui n'a jamais voulu de lui. Les flashbacks continuels vont nous éclairer, au fur et à mesure du roman, sur ce que sont les origines des fissures de ce couple bancal. Le récit alterne donc entre le passé, la naissance de ce couple, le présent de la catastrophe en devenir, et un léger futur où le couple est fracturé, où l'Angleterre est déchirée par la guerre civile. Je dois bien avouer que cette structuration du récit est un réel plus au roman.

Pour revenir au côté apolitique de "Notre île sombre", celle-ci sert également au récit. Pour moi qui n'aime pas trop l'apolitisme, trouvant que cela cache souvant des penchants ultra-conservateurs, je pense qu'ici le récit de Christopher Priest est réellement apolitique dans le sens où il ne choisit pas de camp et centre son récit sur autre chose : l'homme. Il n'est ni pour les racistes conservateurs ni pour les idéalistes humanistes. Il parle d'un personnage coincé au milieu d'une catastrophe et dans celle-ci, son personnage doit encore faire face à la fracture de sa propre vie. L'apolitisme du roman renforce donc le côté humain de l'histoire, centrant le récit sur une histoire de vie plutôt que sur une critique du système.

Bref, "Notre île sombre" est un bon roman catastrophe qui touchera plus facilement son public aujourd'hui dans cette période de crise. Un roman centré sur l'humain plutôt que la critique ou l'action. A conseiller donc.
"Notre île sombre" - Christopher Priest "Notre île sombre" - Christopher Priest Reviewed by Julien le Naufragé on lundi, juillet 28, 2014 Rating: 5

4 commentaires:

  1. D'accord avec toi sur le côté apolitique du roman qui m'empêche d'ailleurs de comprendre pourquoi il a été taxé de raciste (?) à sa parution... Sinon, je suis restée bloquée sur ta deuxième phrase : C. Priest aux Imaginales ! Pfff, pourquoi il ne va pas plutôt aux Utopiales qui est le plus grand festival SF européen et (accessoirement) près de chez moi ;)

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  2. Christopher Priest s'est rendu de nombreuses fois aux Utopiales, notamment pour recevoir le Grand Prix de l'Imaginaire.
    Invité aux Utopiales l'an dernier, il a décliné, préférant se rendre au Festival international du film de Tours "Mauvais genre" en avril, puis aux Imaginales en mai (Il a aussi décliné Etonnants Voyageurs). Si mes informations sont exactes, il devrait retourner l'an prochain aux Imaginales, tant il a apprécié le festival.

    Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d'encre

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  3. J’ai eu la chance de le rencontrer aux Imaginales, c’est clair que Christopher Priest est quelqu’un d’attachant… Je ne connaissais absolument pas ce roman, merci pour l’article.

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  4. @ Plume : Christopher Priest explique qu'il a retravaillé le côté apolitique de son roman pour cette réédition justement. Cela permet de mieux se centrer sur les personnages.
    Pour sa visite aux Utopiales, je vois que Gilles Dumay t'a répondu ;-)

    @ Gilles Dumay : Merci pour la réponse. Et merci pour cette réédition. Beau travail ! Ca en valait le coup.

    @ Escrocgriffe : Tout cela me donne envie de lire les deux autres livres de l'auteur que j'avais acheté et dédicacés aux Imaginales justement.

    PS : A écouter absolument : l'entretien avec Christopher Priest aux Imaginales. C'est sur ActuSF.

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