"Même pas mort" - Jean-Philippe Jaworski

Voici un livre que tout le monde attendait. Il faut bien avouer que Jean-Philippe Jaworski est devenu une "super-star" de la fantasy en France. Avec un peu d'appréhension, de peur d'être déçu, j'ai attendu quelques mois avant de me lancer. Le moment était enfin venu de lire ce livre et au final ce roman est une vrai pépite !


++ La quatrième de couverture ++

Je m'appelle Bellovèse, fils de Sacrovèse, fils de Belinos. Pendant la Guerre des Sangliers, mon oncle Ambigat a tué mon père. Entre beaux-frères, ce sont des choses qui arrivent. Surtout quand il s'agit de rois de tribus rivales... Ma mère, mon frère et moi, nous avons été exilés au fond du royaume biturige. Parce que nous étions de son sang, parce qu'il n'est guère glorieux de tuer des enfants, Ambigat nous a épargnés. Là-dessus, le temps a suivi son cours. Nous avons grandi. Alors mon oncle s'est souvenu de nous. Il a voulu régler ce vieux problème : mon frère et moi, il nous a envoyés guerroyer contre les Ambrones. Il misait sur notre témérité et notre inexpérience, ainsi que sur la vaillance des Ambrones. Il avait raison : dès le début des combats, nous nous sommes jetés au milieu du péril. Comme prévu, je suis tombé dans un fourré de lances. Mais il est arrivé un accident. Je ne suis pas mort.

++ Mon avis ++


Après "Janua Vera" et "Gagner la guerre", qui ont fait l'unanimité, tout le monde attendait le nouveau Jaworski. Bien sur, moi j'arrive quelques mois après la sortie du bouquin alors que j'avais acheté celui-ci dès sa sortie. Sous le charme de ses deux premiers romans, j'avais un peu peur d'être déçu par la suite tant comme d'autres j'en attendais beaucoup. Alors voilà, je me suis décidé enfin à le lire et je dois bien confirmer ce que bien d'autres ont déjà pu écrire  : ce livre est purement et simplement génial ! Jaworski, c'est le haut du panier de la fantasy actuelle. Le top même.

Encrant son récit au temps des Celtes au 6ème siècle avant JC, Jean-Philippe Jaworski se démarque clairement de l'heroic fantasy avec des elfes et des nains. Il change également de style en ne faisant plus de la fantasy noire et politique comme avec "Gagner la guerre". Non il campe son récit dans notre monde, au temps des Celtes, à une période où la magie imprégnait nos vies, à une époque où le divin est dans la vie de tous les jours, à un moment où l'étrange était réel et vivant. "Même pas mort" est donc un récit qui n'est pas réellement de la fantasy, mais ce n'est pas non plus un roman historique. Fortement imprégné de ces deux tendances, sont récit penche plus vers ce que l'on appelle la Mythic Fiction, l'insertion du fantastique dans notre monde, Jaworski joue ainsi avec le merveilleux et le divin dans un récit historique habillement construit.

La structure de l'histoire elle-même est intéressante. Non-linéaire, le roman est monté comme le récit d'une vie : celle de Bellovèse. Au début du roman, notre narrateur demande à un marchand de se faire le futur conteur de son histoire, de sa vie qu'il va raconter au travers de pages et d'expliquer comment il a survécu à une blessure mortelle et qu'il n'est "Même pas mort". Sous la menace ce marchand écoute donc le récit de la vie de Bellovèse. Notre guerrier commence son récit par son voyage sur l'île des Vieilles où il est amené à rencontrer les prêtresses de l'île interdite. Envoyé par le grand druide, Bellovèse doit les consulter afin de pouvoir lever l'interdit qui est sur lui car le guerrier a combattu, fut mortellement blessé, mais n'est même pas mort. Enchaînant avec un retour en arrière, Bellovèse nous conte son passage dans les forces armées bituriges, narrant sa vie de guerrier celte ou plutôt ce temps indéfini entre l'adolescence et son passage à l'âge d'homme. Ainsi parti sur le sentier de la guerre, malgré leur exil, Bellovèse et son frère, Sacrovèse vont donc enfiler les kilomètres pour rejoindre le rassemblement des guerriers. Il ne faut pas traîner en route car le dernier arriver est toujours tué, ainsi en va-t-il de la vie et de l'honneur des Celtes. S'enchaîne ensuite un quatrième chapitre où Bellovèse conte sa jeunesse, sa vie d'enfant, la mort de son père et leur exil au sein du territoire biturige. Il raconte également comment il fut initié aux armes et comment il grandit en temps que personne dans cette communauté celte. Mais je n'en dirai pas plus...

Ecrit à la première personne, "Même pas mort" est réellement immersif. Au travers d'une écriture presque orale, possédant une rythmique proche d'un conte, Jean-Philippe Jaworksi nous fait découvrir le personnage de Bellovèse. Un récit initiatique bien construit par sa non-linéarité. Par ailleurs le phrasé de l'auteur devient de plus en plus efficace avec le temps jouant d'une rythmique réellement enivrante.

"Le lendemain, nous sommes entrés dans une région contestée. Une contrée peuplée de corbeaux et de maraudes armées, sur fond de paysages gagnés par un relief d'inquiétude. Qu'est-ce que la guerre ? Vos rhapsodes et nos bardes commettent la même erreur :ils ne chantent que les armes, les corps vigoureux, le tourbillon des mêlées, les larmes, les bûchers funéraires. Ils ne retiennent que l'anecdote. Entrer en guerre, c'est comme passer de l'autre côté. C'est gagner un monde voisin, familier et pourtant différent. C'est une pomme surie au milieu de fruits frais. C'est un univers bruissant de rumeurs, d'agitation et d'erreurs ; c'est l'émergence de fraternités factices et de haines irraisonnées. C'est un face à face avec des fantômes inconnus et fuyants. Des greniers abandonnés, des champs livrés aux herbes folles, la peur à chaque détour du chemin, parfois la mort sous la lance d'un ami, parfois la compassion dans le regard de l'ennemi. La guerre c'est le désordre. C'est le mouvement. " (p.89)

Toujours aussi précis dans le vocabulaire qu'il utilise, Jean-Philippe Jaworski utilisera toute une série de mots peu usités mais qui permettront d'autant mieux de s'imprégner de l'univers qui entoure les personnages.

"Très vite sous le couvert des arbres, nous perdions les repères familiers. Les ombrages nous plongeaient dans  un espace crépusculaire, les meuglements de nos troupeaux se faisaient assourdis et lointains. Le parfum humide des sous-bois ouvrait nos âmes à des promesses de chasse. Redoutée par les hommes, la forêt pullulait de vie sauvage. Nos incursions étaient souvent signalées par le cri rauque des geais, et nous entendions croûler et cajacter dans les fourrés. Les terrains meubles étaient imprimés par les coulées du gibier, que parsemaient laissées et bousards ; autour des souilles piétinées, les troncs portaient d'abondantes houzures de boues séchées, quelques fois plus hautes que nous, ce qui incitait Suobnos à se défier des grands vieux sangliers ; parfois, nous tombions sur des fondrières moussues, sur des régalis, voir sur le beau cercle d'herbes couchées d'une reposée, et il nous prenait des envies d'affûter nos javelines pour partir à la billebaude. Toutefois, le devin protestait contre nos foucades braconnières. Il disait que les animaux de la forêt avaient leur pâtres, comme les vaches dans leur  pré, et qu'il n'était guerre prudent de marcher sur les brisées des gardiens du bois" (p.194)

On sent au travers de son récit que Jean-Philippe Jaworski a accumulé une tonne d'information sur les celtes, leur vie, leur mode de pensée non-chrétienne, etc. C'est impressionnant et on voit qu'il a digéré tout cela pour mieux en imprégné son récit. Le personnage de Bellovèse est par exemple un homme qui aurait réellement vécu. On le retrouve dans l'histoire romaine que nous a livré Tite Live. Jean-Philippe Jawaorski a donc choisi un personnage de l'histoire, dont on sait peu de choses, pour le livrer à son imagination.

L'histoire en elle-même est profondément imprégnée de magie, de sacré et de fantastique à une période où mythe s'insère dans la vie courante, où le merveilleux et la vie de tous les jours ne font qu'un! Cela imprègne le récit et offre quelques rencontres étranges en ouvrant des portes qui pourraient se révéler intéressantes dans les deux autres ouvrages qui suivront. Insérant son histoire dans un contexte très historique et jouant avec cet environnement mythique et sacré, Jean-Philippe Jaworski offre un récit transgenre quelque part entre le roman historique et le roman fantastique ou fantasy. Savant mélange bien construit et réellement prenant.

"Même pas mort" est également un récit très différent de "Gagner la guerre". Si ce dernier raconte l'histoire d'un assassin gouailleur à la gueule de travers, "Même pas mort" offre un récit plus simplement initiatique mais à la construction intéressante. Pour moi, "Même pas mort" est plus abouti que "Gagner la guerre", essentiellement au niveau de l'écriture et de la construction du récit. Autre point fort de ce roman : pouvoir donner autant et offrir un récit aussi riche et immersif en seulement 300 pages. Preuve encore qu'un récit, découpé en trilogie, bien travaillé n'a pas besoin de 600 pages pour entrer dans l'histoire. Être déjà si loin dans le développement du personnage alors que ce n'est que le premier tome d'une trilogie est impressionnant. Mais faut-il encore ajouter que Jean-Philippe Jaworski c'est la grande classe en fantasy, le haut du panier, voir ce qui se fait de mieux dans le genre selon moi. Un roman tellement bon que rien qu'à écrire cette chronique, cela me donne envie de le relire. Et ne peut-on faire meilleur compliment à un auteur que de lui dire que l'on a lu et relu son roman? Un défaut? Devoir attendre si longtemps pour avoir la suite !

Par ailleurs, et pour conclure, n'oublions pas le réel bon travail d'éditeur des Moutons électriques qui a choisi d'édité un roman en hardcover. Un livre profitant d'une vrai reliure et d'une mise en page intéressante ce qui change de certains livres vite assemblés, vite mis en page et dont la couverture se dépellucide en un rien de temps. Bref, un ouvrage de bonne qualité physique en plus d'être un livre de haute qualité littéraire !


Autres avis : Lune, Lorhkan, Gromovar, Efelle, Xapur, Nébal, Baroona, Tigger Lilly, A.C. de Haenne.

"Même pas mort" - Jean-Philippe Jaworski "Même pas mort" - Jean-Philippe Jaworski Reviewed by Julien le Naufragé on vendredi, mars 21, 2014 Rating: 5

12 commentaires:

  1. "Jean-Philippe Jaworski c'est la grande classe en fantasy, le haut du panier, voir ce qui se fait de mieux dans le genre selon moi."

    Pas mieux !

    A.C.

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  2. J'apporte rien de plus au débat, je confirme juste que Jaworski c'est excellent :)

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  3. En fait j'apporte rien de plus non plus. Je ne fais que confirmer l'enthousiasme général ;-)

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  4. Faut vraiment que je l'achète. En même temps c'est pas plus mal si j'attends, je réduis l'attente pour le tome 2 (on se console comme on peut xD)

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  5. @ Vert : Fonce, c'est trop bien!

    @ Tigger Lilly : Moi aussi. Je propose qu'on menace l'auteur et l'éditeur dès les Imaginales. ;-)

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  6. Héhé, à ton tour de me donner envie :) C'est chouette que tu l'aies trouvé génial alors que tu en attendais beaucoup ! Cela donne une bonne idée. Je résiste, je résiste (encore un peu).

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  7. Jaworski est grand.
    Il va tout de même falloir que je le relise, parce que j'ai l'impression d'avoir manqué quelque chose, je n'arrive pas à le placer sur le piédestal sur lequel tous les blogueurs le mettent. Mais très bon tout de même. ^^

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  8. @ AcrO : Ne résiste pas trop longtemps ;-)

    @Baroona : Tout le monde ne doit pas le mettre sur un piédestal. C'est juste que j'aime son style, son verbiage, et sa fantasy non-alignée. Après, j'imagine bien que tout le monde n'a pas apprécié autant que moi (et d'autres) ce livre. J'ai un ami qui trouve celui-ci moins bien que "Gagner la guerre".

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  9. oui et je confirme, je trouve que gagner la guerre est plus touffu. Mais j'ai bien aimé "même pas mort", ne me faite pas dire ce que je n'ai pas dit!

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