C'est avec ce roman que je découvre Franck Ferric. Un jeune auteur qui possède une très belle plume et qui nous fait revivre une éternité de tourments et de douleurs absurdes en revisitant le mythe de Sisyphe.
+++ La quatrième de couverture +++
Pour avoir offensé les dieux et refusé d'endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu'il a cherché à fuir : l'absurdité de l'existence et les vicissitudes de l'Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon - le Passeur des Enfers qui lui refuse le repos -, Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s'effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux. Dans une ambiance proche du premier Highlander de Russell Mulcahy, Trois oboles pour Charon nous fait traverser l'Histoire, des racines mythologiques de l'Europe jusqu'à la fin du monde, en compagnie du seul mortel qui ait jamais dupé les dieux.
++ Mon avis ++
Franck Ferric est un jeune auteur français que je n'avais encore jamais lu. Pourtant, il n'en est pas à son coup d'essai avec ce roman, il est déjà passé par de plus petits éditeurs avant cette publication (de septembre 2014) chez Denoël Lunes d'Encre.
Très chouette découverte que ce "Trois oboles pour Charon". Porté par une réelle bonne plume, le roman nous emmène dans l'absurdité de la guerre. Et pour illustrer son propos, Franck Ferric nous invite à suivre l'icône même de l'absurdité : Sisyphe. Évidemment, l'auteur ne va pas nous raconter pendant 300 pages l'histoire d'un Sisyphe qui roule son rocher. Non, il nous invite à revivre le malheur de cet homme sous une autre forme car pour avoir oser défier les dieux, ceux-ci lui font subir comme châtiment une vie d'éternel recommencement. A chaque résurrection, Sisyphe revit l'absurdité de la guerre et de la mort qui l'accompagne. Et à chaque trépas, Sisyphe rencontre Charon, le passeur des Enfers. Étant en incapacité de payer les trois oboles nécessaires à la traversée du Léthé, Charon renvoie Sisyphe à son éternelle renaissance. Ce dernier renaît à chaque fois amnésique, ayant bu l'eau du fleuve des enfers qui force à l'oubli de tout, mais son corps se souvient de ses multiples vies et porte en lui les marques de ses multiples morts. Forcé à revivre éternellement, Charon ne connaîtra jamais le repos éternelle, vivant ainsi éternellement, jusqu'à la disparition des dieux anciens.
De l'Empire romain à notre futur incertain, en passant entre autre par la guerre de 30 ans et la deuxième Guerre mondiale, Sisyphe va vivre et mourir, de guerre en guerre, de douleur en souffrance. Éternellement. Le seul interlocuteur qui lui restera est Charon. Lui aussi revit éternellement la même rencontre avec Sisyphe, devant toujours répondre aux mêmes questions et tenter lui aussi d'oublier l'absurdité de sa propre vie.
"Il n'est pas de punition plus terrible qu'une éternité de travail sans but ni espoir, avait dit le nautonier. Et l'enfer, c'est la répétition. A la mesure du colosse presque immortel que je suis, cette répétition n'est pas celle que connaît le commun des hommes : la succession des jours de travail, des naissances et des décès, des joies et des peines. Assis dans la vase du Léthé, Charon avait parlé : mon supplice était d'endurer le rabâchage de l'univers à l'échelle de cette humanité au-dessus de laquelle j'avais autrefois essayé de m'élever. Et ce vers quoi revenait toujours l'humanité, c'était la guerre. Ce qui, à mon jugement, me semble être la plus évidente manifestation de la vivacité de l'espèce humaine, ainsi que sa principale motivation à perdurer toujours et encore, c'est le conflit qui oppose et contraint à surmonter l'autre - et soi-même - pour tout, pour rien." (p. 212)
Ainsi, la vie n'existe que par le combat, contre tout, contre tous, pour toute raison, aussi absurde soit-elle. Les temps changent, les idées changent, mais toujours on se bat pour montrer que l'on a raison ou que l'on est plus fort. Et de là, on se posera d'autres questions ? Comment vit-on nous dans notre propre vie ? Sa bat-on pour nos idées ? Pour faire valoir des compétences ? Pour une passion ou une autre ? Pour se surpasser ? Ou plus simplement, se bat-on pour survivre ? Pour garder un job ? La réflexion peut donc s'étendre plus loin que juste la guerre.
"Est vivant celui qui se bat, seuls les morts savent la paix." (p.259)
Ce qui marque en premier dans "Trois oboles pour Charon", c'est la qualité de l'écriture. Le phrasé est bon, bien rythmé et colle bien avec le récit mis en place. Les belles tournures de phrases offrent une qualité stylistique indéniable au livre. Pourtant, je dois bien avouer avoir eu du mal à rentrer dedans avant le deuxième chapitre tant tout est noir dans ce roman. Par ailleurs, si Charon revit éternellement la guerre, le récit est porté sur la douleur et l'absurdité plus que sur un enchaînement de combat. Le roman pousse plus à la réflexion qu'à l'extase du beau geste héroïque, ce qui ne le rend que plus intéressant selon moi. Cependant, le roman de par son éternel recommencement tombe assez vite dans la répétition. Heureusement Franck Ferric arrive à déjouer cela par moment, mais arrivé dans le dernier tiers, on se dit que le roman aurait pu être un poil plus court et garder sa force. Néanmoins cette répétition garde tout son sens et n'empêche pas pour autant une bonne lecture et une très belle, quoique noire, découverte. Un auteur prometteur !
"Trois oboles pour Charon" - Frank Ferric
Reviewed by Julien le Naufragé
on
dimanche, novembre 16, 2014
Rating:
J'avais déjà lu "La loi du désert", de cet auteur, avant de me frotter à ce titre-ci. Si j'avais déjà apprécier ma première lecture, celle-ci me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'un grand auteur à suivre sans hésitation !
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