"Le Calice du Dragon" - Lucius Shepard



A peine avais-je (enfin!) entamé "Le Dragon Griaule" que je dois déjà lire "Le Calice du Dragon" pour le Prix Planète SF. Je laisse donc tomber (pour un temps) le premier recueil pour lire le second "Griaule" qui est un roman. Une fois encore je suis sous le charme de la plume efficace et travaillée de Lucius Shepard. Un excellent roman encore de cet auteur que j'ai eu grand plaisir de rencontrer aux Imginales 2013, gardant de lui les étoiles dans ses yeux quand je lui disais tout le bien que je pensais de ses livres.


++ La quatrième de couverture ++

« Le soir, les rues sinueuses de Matinombre résonnaient de rires, de cris et de musiques antagonistes, grouillaient de poivrots, de bagarreurs, de vendeurs, de putains, de vide-goussets, de pickpockets et de leurs rares et précieuses victimes ; tout ce monde-là se pressait, se poussait, se bousculait sous une chape de fumée, fleuve paresseux d’humanité en haillons et en pauvres nippes bariolées coulant entre deux rives de tavernes et de troquets, d’auberges et de lupanars interlopes — des bâtisses branlantes qui se soutenaient les unes les autres comme des vieux oncles blafards titubants, coiffés de galures en papier goudron. Et, les dominant de toute sa masse, cette immense enflure de ténèbre absolue que formaient le ventre et le flanc de Griaule, où pendouillait un rideau effrangé de lianes et d’épiphytes en chapelet, si bas qu’il en frôlait les toits, découpés en ombres chinoises sur le ciel d’un indigo luisant. »


+++ Mon avis +++ 

La découverte de l'auteur remonte à la lecture de l'excellent recueil de nouvelles "Sous des cieux étrangers". Fort de cette entrée en matière, je me suis toujours dit que je replongerais dans son œuvre protéiforme. Néanmoins si le recueil "Sous des cieux étrangers" balaie différents genres de l'imaginaire, celui-ci ne fait que dans la fantasy. Encore que c'est plutôt réducteur comme manière de présenter ce roman car la fantasy de Shepard est bien plus borderline que ça.

Lucius Shepard est lui-même un auteur hors cadre. Grand baroudeur et journaliste de terrain, son oeuvre s'immisce dans les différents genres de la SFFF. Jamais classique, il fait partie de ces auteurs qui préfèrent mettre les personnages en avant, à l'opposé d'une SF old school propre à Asimov. Néanmoins, ne nous trompons pas car si les ses récits sont centrés sur des personnages, ces derniers ont des choses à dire et amènent une réflexion, l'auteur usant généralement de ses histoires comme d'une allégorie de notre monde réel. Alors même si l'auteur se défend d'une SF comme "littérature de l'idée", il reste un auteur que j'ose qualifier d'engagé et moi ça me plaît ! Ce qui me plaît également chez Lucius Shepard, et qui est l'un de ses points forts, c'est son style d'écriture : travaillé, limpide et agréable à lire, son style est évocateur et prenant sans jamais tomber dans la lourdeur stylistique.

Avec "Le Calice du Dragon", nous retournons dans l'univers du "Dragon Griaule". Un univers fantasy qui nous rappelle néanmoins l'Amérique du Sud. Ce qui fait décor, pour ceux qui n'ont pas lu "Le Dragon Griaule", c'est le Dragon lui-même : un être énorme, mi-mort mi-vivant, endormi depuis des années dans une forme de stase telle qu'il reste immobile au point de devenir une partie du paysage, son coeur battant une fois toute les lunes. Griaule est lui-même devenu une basse montagne sur laquelle l'homme a érigé des villages, chasse, et vit. Mais en retour, le Dragon imprègne l'atmosphère générale d'une humeur sombre qui touche chaque habitant dans sa psyché, amenant ceux-ci dans un esprit souvent noir et mélancolique. Au niveau du récit nous suivrons Rosacher, jeune médecin, qui découvrira malgré lui comment utiliser le sang de Griaule comme une drogue sans effets négatifs ni accoutumance : le pem (pour plus et mieux!). Celle-ci a pour effet d'augmenter les sensations de la vie, tout ce que l'on ressent est plus vif et tout ce qui nous entoure est plus beau. Dès lors la pire des vies devient un rêve éveillé. L'illusion du bonheur amenant par ailleurs la paix sociale. Rosacher deviendra donc rapidement un baron de la drogue mettant à mal la religion établie. A quoi sert-il de croire en un dieu salvateur quand la drogue amène cette paix de l'âme directement. Dès lors Rosacher devra faire face à la religion mais aussi aux autres membres puissants de la ville. Dans ce cartel de politicaillons, on retouvera un certain Jean-Daniel Brèque qui n'est qu'une version noire et fantasmée du traducteur du livre. Lucius Shepard prend ici un malin plaisir à mette son traducteur francophone en titre en situation...disons douteuse. Mais à ce jeu du pouvoir et de la drogue suivra la chute de Rosacher qui néanmoins survivra par ailleurs comme Messie du Dragon. Mais restons-en là car comme vous le voyez, "Le calice du dragon" est  histoire noire mais qui n'est pas sans rebondissements.

"Le Calicce du Dragon" est un cocktail sombre qui mélange religion, politique, sexe et drogue, où la fantasy n'est que le vague décor d'un monde qui pourrait être l'Amérique hispanique. Un roman riche, au style travaillé, au récit efficace, écrit de main de maître et que l'on déguste avec bonheur. Lucius Shepard est un grand auteur, j'en suis convaincu. Un auteur bien trop sous évalué, notamment dans la littérature de genre car  Lucius Shepard n'est pas de ceux qui se limitent et s'enferment dans un code fermé. Je le répète, c'est un auteur qui a du style avec une langue savoureuse ainsi que des histoires qui amènent le dépaysement et la réflexion. En somme : un grand auteur. Par ailleurs, le roman est renforcé par les belles illustrations en noir et blanc de Nicolas Fructus. C'est également ce dernier qui signe la couverture du livre.

Pour la petit histoire, il faut savoir que ce roman, écrit en anglais, parait en primeur en français. Terminer rapidement pour être excellemment traduit par Jean-Daniel Brèque et illustré par Nicolas Fructus, il devait être publié pour la venue de l'auteur aux Imaginales 2013. Ce fut fait, just in time, pour notre plus grand plaisir. Maintenant il ne manque qu'une chose à Lucius Shepard : recevoir les lauriers qu'il mérite. Mais ne me demandez pas si ce livre est mieux que "Le Dragon Griaule", car je suis encore occupé à lire ce dernier  recueil de nouvelles. Mais finalement, cette question reste peut-être triviale car l'important reste le plaisir à lire ce court roman. Celui-ci peut d'ailleurs se lire indépendamment du recueil qui le précède, par  contre je ne peux pas vous assurer qu'en lisant ce livre vous ne grillerez pas le suspens des autres textes.

Au final, "Le Calice du Dragon" est un bon roman et il ne manque pas grand chose pour en faire un vrais roman réellement excellent. Cela dit, ce livre vaut le détour : l'histoire est bonne, le style est travaillé et le livre est un bel objet. Le Bélial tient là un trio d'exception : Shepard -  Brèque - Fructus. Autant en profiter, alors ne boudez pas votre plaisir et offrez-vous ce livre. 


+++ Mais encore... +++ 

Retrouvez ci-après les chroniques de Efelle, Gromovar, Lhisbei, Tigger Lilly.
Livre nominé dans la short-list du Prix Planète SF 2013.
Lire les premières pages du livre ici
"Le Calice du Dragon" - Lucius Shepard "Le Calice du Dragon" - Lucius Shepard Reviewed by Julien le Naufragé on lundi, août 26, 2013 Rating: 5

10 commentaires:

  1. Je dirais que si on n'a pas lu Le Dragon Griaule on risque d'être un peu perdu dans celui ci plutôt, non ?

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  2. il est dans ma bibliothèque, avec un petit mot de M. Shepard. J'ai beaucoup aimé "Sous des cieux étrangers", Shepard est un auteur particulier dans le monde de la SF, il a un style d'écriture qui me plait beaucoup. Ce livre sera prochainement au menu! Merci pour cette chronique.

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  3. Futur achat en perspective, vu la très bonne lecture du "Dragon Griaule" !
    C'est vrai que Lucius Shepard est un peu à part dans la littérature de genre, bien loin des clichés et autres sentiers battus. Et c'est tant mieux, ça ne rend ses écrits que plus intéressants !

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  4. En plein dans la lecture du Dragon Griaule, si j'apprécie, j'enchaîne avec celui-ci !

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  5. J'ai pu découvrir Le Dragon Griaule grâce à cette chronique, et je dois dire qu'il me dit vraiment beaucoup ce recueil !

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  6. @ Efelle : J'ai pas eu cette impression là.

    @ Archibald : Lis du Shepard, c'est bon pour ton esprit!

    @ Lorhkan : Ce côté à part en fera sans doute un auteur culte mais pas un auteur riche adulé des masses. Mais qu'est-ce qu'il est bon.

    @ Xapur : Pour ma part, je continue prochainement "Le Dragon Griaule". Un King sous le coude à digérer...

    @ May : Bonne découverte de l'auteur alors ;-)

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  7. Très beau texte. Tu vas te régaler aussi en finissant le dragon Griaule (moi je t'attends que la sortie poche pour pouvoir l'acheter et le relire)

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  8. Le Dragon Griaule est encore mieux, vivement que tu puisses en terminer la lecture :)

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  9. @ Vert : Je continue prochainement le Dragon Griaule

    @ Lhisbei : Je note que je dois m'y remettre rapidement. Histoire d'amplifier le plaisir de lecture ;-)

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  10. Voila, c'est fait, je viens d'acheter Le Dragon Griaule à l'occasion de sa sortie en poche (parce que 25€ ça fait un peu mal quand même uhuh) J'ai hâte de le recevoir !

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