Avec ce premier roman traduit de Sofia Samatar, les jeunes éditions de l'instant marquent leur entrée de belle manière. Lauréat des World Fantasy Award et British Fantasy Award, "Un étranger en Olondre" marque d'abord par la beauté du langage et la poésie, pour ensuite vous faire voyager avec le récit des aventures de Jevick dans un monde exotique aux couleurs chatoyantes.
L'histoire de "Un étranger en Olondre"
Jevick est le fils du plus riche marchand de poivre de Tyom. Bercé toute sa vie par les légendes et les contes de la lointaine Olondre, un pays où les livres sont aussi communs qu’ils sont rares sur son île, il touche enfin, à la mort de son père, au bonheur de visiter cette contrée magique et emplie de bibliothèques afin d’y perpétuer le commerce familial.
Ses désirs semblent comblés jusqu’à ce que, au lendemain du rabelaisien Festival des Oiseaux, qui rythme la vie religieuse en Olondre, il se découvre hanté par un ange.
Après avoir été emprisonné, Jevick est contraint de chercher de l’aide auprès des prêtres et des savants olondriens. Mais il lui apparait rapidement qu’il est devenu un enjeu capital dans la lutte sans merci que se livrent les deux principales religions olondriennes.
Dans un pays au bord de la guerre civile, Jevick devra comprendre ce que veut son ange et traverser tout un continent pour retrouver sa liberté.
(Quatrième de couverture du roman publié par les éditions de l'instant)
Mon avis sur "Un étranger en Olondre" de Sofia Samatar
Comme la plupart des lecteurs actuels de ce roman, j'ai acquis ce livre via un crowdfunding lancé par les éditions de l'instant. Cette nouvelle maison belge m'intriguait d'autant plus qu'elle est centrée sur les littératures de l'imaginaire et qu'ils sont de Liège comme moi. Après une bien sympathique rencontre avec Patrick, le créateur des éditions de l'instant, j'avais pris plaisir à réaliser une interview que vous pouvez lire sur le blog.
Mais venons-en à "Un étranger en Olondre". La première chose qui frappe avec ce roman de fantasy, c'est la beauté de la prose de Sofia Samatar. Son écriture est portée par une poésie qui invite le lecteur dans un tout autre monde où l'émerveillement côtoie l'exotisme. Les enivrantes descriptions vous offrent un monde riche en couleurs et en odeurs, et lorsque que l'on se promène avec Jevick en Olondre, on a vraiment l'impression d'être ailleurs, dans un monde bigarré, bruyant et vivant. Sofia Samatar offre un univers réellement consistant et jamais nous n'avons l'impression de faire face à un monde en toc, trop vite brossé pour plonger dans l'action.
L'auteur prend le temps pour planter le décor. Ce sera sans doute un défaut pour les lecteurs amateurs d'une fantasy du rythme et de l'aventure, mais pour ceux et celles qui aiment un monde qui n'est pas fait de carton pâte, vous y trouverez votre plaisir. En cela, "Un étranger en Olondre" fait écho à mes lectures d'Ursula K. Le Guin, dont "Terremer" bien sur.
Le personnage de Jevick est assez bien travaillé. S'il n'a rien d'un héros, encore moins d'un être d'exception, il devient adulte par la force des événements et se retrouve l'instrument d'une lutte dont il ne maîtrise pas tout, tout comme il est en lutte avec l'ange qui le hante. Dès lors qu'il est hanté, Jevick devient un étranger en lui-même tout autant qu'il est un étranger en Olondre.
Mon séjour commença par un voyage matinal en chariot qui me mena des rues humides de la cité au grand marché aux épices. Etabli sur le site de l’ancien encan au bétail et aux chevaux, ce vaste marché couvert, coiffé de toits de cuir arqués de manière à laisser s’écouler la pluie au-dehors, forme un fouillis labyrinthique qui s’étend presque jusqu’au port. Ici, au sein des ombres, de lourds sacs exhibent leurs contenus fastueux : le cumin noir, dont l’odeur évoque les montagnes, le poivre rouge pilé, aussi richement coloré que du minerai de fer et le curcuma, « qui fait les mariages ». On s’y promène dans un dédale d’odorants étals exigus, parmi des hommes et des femmes âgés assis derrière leurs marchandises, buvant à petites gorgées des tasses de thé, leurs doigts ayant pris à tout jamais l’odeur de la cannelle. On y trouve également de jeunes marchands : des hommes à la voix lente, de riches cultivateurs, qui ne cessent d’essuyer leurs yeux avec un mouchoir. Et, dans un coin, une femme kalak, de l’antique peuple des pêcheurs de Bain, vend l’air sortant d’une immense cloche de bronze. On y achète des herbes, fraîches ou séchées – de la menthe, de la marjolaine ou du basilic, ainsi que de sombres cônes et des blocs argileux d’encens. Les odeurs à l’intérieur du marché semblent se répondre l’une l’autre, comme si des fantômes sauvages y avaient élu domicile. Des vendeurs ambulants y proposent du thé et l’ « Eau de Vie », qui n’a aucune odeur et ravive les esprits de ceux qui ont succombé à la folie des épices. Car on trouve ici des substances dangereuses, des ingrédients pour les philtres d’amour et des épices utiles à l’art de la guerre ou de l’assassinat. J’ai vu des marchands vendre la poudre que l’on nomme saravai, « Les Cent Feux », avec laquelle on exécute les traîtres, ou cette épice sans nom qui, disséminée par le vent, propage le haut mal parmi les rangs ennemis, ou encore la poudre d’œufs d’autruche, surnommée « l’attrape-femme ». Ici, les odeurs semblent former un nuage, comme si, dans la pénombre, le souffle des épices s’élevait comme une fumée et s’agglutinait sur le visage des marchands.
L'auteur prend le temps pour planter le décor. Ce sera sans doute un défaut pour les lecteurs amateurs d'une fantasy du rythme et de l'aventure, mais pour ceux et celles qui aiment un monde qui n'est pas fait de carton pâte, vous y trouverez votre plaisir. En cela, "Un étranger en Olondre" fait écho à mes lectures d'Ursula K. Le Guin, dont "Terremer" bien sur.
Après une première
partie de mise en place, de découverte de Jevick, de l'apprentissage des lettres et de l'amour des livres, de la mort de son père et de sa découverte de la luxuriante Olondre, on bascule dans ce
que l'on raccrocherait presque au fantastique. Mais étant en fantasy,
le surgissement de l'irréel, même s'il surprend fait partie du monde. Alors quand Jevick se retrouve hanté par un ange, par un esprit, il devient dès lors la clé d'une lutte entre deux religions, entre deux forces opposées.
Le chapitre de basculement est déroutant. C'est voulu et travaillé pour. Après l'émerveillement et le chatoiement, on est dérouté par les images et les flashs des courts paragraphes. On est, nous lecteur, réellement perdu comme Jevick. Cet événement chamboule la vie de celui-ci qui se retrouve coincé en Olondre, manipulé par les deux religions olondriennes.
Le personnage de Jevick est assez bien travaillé. S'il n'a rien d'un héros, encore moins d'un être d'exception, il devient adulte par la force des événements et se retrouve l'instrument d'une lutte dont il ne maîtrise pas tout, tout comme il est en lutte avec l'ange qui le hante. Dès lors qu'il est hanté, Jevick devient un étranger en lui-même tout autant qu'il est un étranger en Olondre.
Bien plus qu'un monde travaillé par son exotisme, ses religions, ses cultures et ses différences. Bien plus que par le récit d'aventure, "Un étranger en Olondre" est aussi un roman sur l'amour de l'écriture et des livres. Car si Jevick vient d'un pays où l'on ne lit et n'écrit pas, c'est avec son maître olondrien qu'il va découvrir les livres, la littérature et la poésie. Avec cela, il va voyager en esprit avant de pouvoir réellement voyager jusqu'en Olondre.
Bien sur, "Un étranger en Olondre" n'est pas sans défauts. J'ai déjà exprimé la lenteur qui déroutera et ennuiera certains lecteurs. La poésie fort prégnante, si elle est un avantage selon moi, sera un défaut pour ces mêmes autres lecteurs amateurs de rythme et d'aventure. Donc, lecteur, soit prévenu ! Outre cela, et indépendamment de Sofia Samatar, on sent que ce livre est le premier édité par les éditions de l'instant. La mise en page reste à améliorer par exemple. Quant à la typographie, j'en aurais préférée une avec serif mais c'est une question de goût, car ça se lit bien. D'ailleurs le texte est correctement aéré avec un nombre de mots par ligne correct. Mais que cela ne soit pas un frein à votre envie de découvrir une autre fantasy ! Car ce roman vaut le détour.
Bref, avec "Un étranger en Olondre" de Sofia Samatar offre un roman réellement intéressant et à part. Son roman frappe par la qualité d'écriture, sa poésie et son exotisme tout en offrant un voyage original au lecteur. Les amateurs d'Ursula K. Le Guin y trouveront également leur compte. Mais pour les amateurs de rythme et de grosses bagarres, passez votre chemin car "Un étranger en Olondre" ne sera pas pour vous. Quant aux autres qui pensent que la fantasy ne peut pas être une littérature de belles lettres, Sofia Samatar vous prouvera le contraire !
Le livre n'est hélas pas encore bien distribué (mais ça va changer!). En attendant, voici le lien pour vous commander "Un étranger en Olondre".
A propos de Sofia Samatar
Sofia Samatar est une auteure américano-somalienne née en 1971. Elle est professeure assistante d'anglais dans une université de Californie. Finaliste des Prix Hugo, Nebula et Locus pour ses nouvelles, elle est lauréate du World Fantasy Award et du British Fantasy Award pour "Un étranger en Olondre".
Photo Sofia Samatar : Copyright Sofia Samatar
"Un étranger en Olondre" - Sofia Samatar
Reviewed by Julien le Naufragé
on
jeudi, avril 07, 2016
Rating:
Là encore c'est tentant. De la fantasy qui appuie sur le côté "texte bien écrit" sans négliger son intrigue, ça montre que le genre peut aussi faire partie des belles lettres. :)
RépondreSupprimerElle est professeur d'anglais dans une université de Californie, ce qui explique son goût de la belle langue ;-)
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