Lecture commune initiée au sein du forum de Livraddict, cette insertion au sein de l'univers lovecraftien tient pour moi de la relecture. Un retour dans le monde sombre et fantastique de H.P. Lovecraft, le reclus de Providence. Une rechute dans son style alambiqué et peut-être dépassé mais une prose toujours aussi efficace sur ma personne. Une plongée dans l'obscure qui s'est refaites avec bonheur et angoisse... Brrrrr.
+++ La quatrième de couverture +++
Charles Dexter Ward, jeune étudiant féru d'archéologie, d'histoire et de généalogie, découvre un jour que Joseph Curwen, jugé pour sorcellerie à Salem, est un de ses ancêtres. Curieux de nature, il part à la recherche de son histoire. Dès le début de son enquête, Charles acquiert de prodigieuses connaissances historiques, compensées par une étrange amnésie du temps présent. Il développe en outre un inquiétant mimétisme avec son aïeul. Devant ces répercussions inattendues, le docteur Willett, médecin et ami de la famille Ward, part à son tour en quête.
+++ Mon avis +++
Auteur fantastique du début du 20ème siècle, H.P. Lovecraft, également connu sous le pseudonyme du "reclus de Providence", écrit dans un style suranné. Sans doute déroutant pour les habitués de littérature contemporaine, dont je fais partie, son style très classique et largement influencé par Edgar Allan Poe reste pour ma part toujours aussi efficace. Sa prose parfois emphatique crée des ambiances particulières, sombres, glauques et maladives imposant une sourde angoisse au lecteur qui a su sombré sous le charme du maître.
Seul "vrais" roman de H.P. Lovecraft, "L'affaire Charles Dexter Ward" reste coincé dans les limbes, quelque part entre la longue nouvelle et le petit roman. Habitué des textes courts qu'il écrivait et publiait dans des magazines de références comme Weird Tales, il évolué ici sur une longueur qui lui est plutôt inhabituelle. Cependant le charme opère. Accroché par le coté détaché d'une narration en retrait des protagonistes, comme l'histoire relatée d'une enquête étrange sur des faits encore plus étranges. Peut-être est-ce également ce don de tricoter des phrases qui décrivent la monstruosité sans la montrer, cet art de décrire ce malheur sans nom venu du plus profond des âges et qu'une âme douée d'une santé mentale normale ne pourrait subir sans en subir les conséquences. Extraits :
"Mais Marinus Bicknell Willet se repentit d'avoir regardé; car, pourtant chirurgien et habitué des salles de dissection, il ne fut plus jamais le même après cela. Il est difficile d'expliquer comment un seul regard sur un objet réel aux dimensions mesurables put à ce point bouleverser et changer un homme; disons seulement que certaines formes et entités ont un pouvoir de symbolisme et de suggestion qui agit terriblement sur la manière de voir d'un penseur sensible, et lui fait entrevoir d'obscures relations cosmiques et réalités innommables derrière les illusions rassurantes de la vision courante. Dans ce second regard, Willet aperçut une de ces formes ou entités, car pendant les minutes suivantes, il se conduisit indéniablement de manière aussi folle que les pensionnaires du Dr. Waite à sa maison de santé. Il laisse échapper la torche électrique d'une main soudain privée de force musculaire ou de coordination nerveuse, sans prendre garde au bruit de dents dévoreuses qui lui faisaient un sort au fond du trou. Il cria, cria encore d'une voix déformée par la panique qu'aucune de ses relations n'aurait pu reconnaître et, incapable de se relever, se mit à ramper et à se rouler désespérément sur le dallage humide où des douzaines de puits infernaux déversaient leurs plaintes et leurs glapissements exténués en réponse à ses cris déments. Il déchira ses mains sur les pierres rugueuses et disjointes, se meurtrit la tête bien des fois contre les piliers très rapprochées, mais il allait toujours. Puis enfin il revint lentement à lui dans les ténèbres et la puanteur, et se boucha les oreilles pour échapper à la plainte monotone qui avait succédé au déchaînement des glapissements. (...)"
(Passage pris un peu au hasard)
La narration en elle-même est structurée de manière typique à Lovecraft. Révélant graduellement les informations pour permettre une montée progressive de l'angoisse. Certes il y'a peu de surprises chez Lovecraft car bien souvent tout est dit dans l'accroche au début du texte, mais le fantastique s'installe et vous imprègne doucement... et méchamment. La tension qui vous habite devient insoutenable, à tel point qu'une seule chose arrivera à vous apaiser : terminer ce texte au plus vite.
L'intrigue découpée en histoire de Joseph Curwen et histoire de Charles Dexter Ward nous mène à une rencontre des deux vies. Deux destins liés à point tel que cela en devient malsain. Deux histoires séparées par une abîme de temps. Deux personnages à la ressemblance troublante...
Certes la lecture de Lovecraft peut être difficile à qui n'aime pas le classicisme. Je ne prétend pas être un habitué de ce style non plus, néanmoins Lovecraft a toujours réussi à me fasciné par ses écrits. Autant sa littérature me touche par son angoisse, autant le personnage de l'auteur me déplaît par son racisme parfois trop flagrant dans ces écrits (encore que cela ne transparaissent pas vraiment dans ce texte-ci)., personnage critiqué et critiquable. Pourtant replonger de ce texte fut un vrais plaisir pour moi. Lecture que je pense continuer un jour où l'autre au travers d'autres textes, déjà lus ou non. Ayant en ma possession deux des livres édités chez Robert Laffont et contenant tous ces écrits et bien plus encore. Une vrais mine d'or de 3x 1200 pages environs. "L'affaire Charles Dexter Ward" reste à mon avis un excellent texte d'entrée dans l'oeuvre de H.P. Lovecraft. Un auteur classique, une influence majeure, un maître reconnu du fantastique d'hier... et peut-être encore d'aujourd'hui.
+++ Sur le Web +++
Une Lecture commune avec : Imaginelf, Taliesin, El Jc, Mr.Zombi, Mina, Belledenuit, …
H.P. Lovecraft sur Wikipedia
Un site francophone dédié à H.P. Lovecraft
Lovecraft sur ActuSF
Lovecraft sur Le Cafard Cosmique
Documentaire Arte en trois parties (merci El JC pour les liens) sur Lovecraft :
- Toute marche mystérieuse vers un destin (1e partie)
- Toute marche mystérieuse vers un destin (2e partie)
- Toute marche mystérieuse vers un destin (3e partie)
+++ Le livre +++
En poche :
- Editeur : J'ai lu (8 janvier 2002)
- Collection : Science Fiction
- Prix Approximatif : 4,00 EUR
En broché :
édition en trois tomes reprennant tous les écrits du reclus de Providence ainsi que d'autres textes écrits autour de Lovecraft : nouvelles, etc. Actuellement réédité avec de nouvelles couvertures.
- Pages : 1174 pages
- Editeur : Robert Laffont (30 novembre 1997)
- Collection : Bouquins
- Prix Approximatif : 25 EUR
"L'affaire Charles Dexter Ward" de H.P. Lovecraft
Reviewed by Julien le Naufragé
on
jeudi, août 12, 2010
Rating:
Je trouve que Lovecraft est un auteur classique mais qui reste très abordable, contrairement à Poe que j'ai survolé il y a peu ><
RépondreSupprimerMerci pour cet avis très complet et merci d'avoir relu avec nous ce court roman (^-^)
J'ai donc essayé et ... ça l'a pas fait. Je n'ai pas du tout mais pas du tout aimé ce roman. De plus, je me permets d'ajouter que je ne crois pas que la difficulté à lire Lovecraft soit dû ou à son époque ou au fait que cela soit classique. J'adore les auteurs classiques et même bien antérieurs à lui et ils ne sont pas illisibles. Pour reprendre le commentaire de Wilhelmina (ma fille a le même prénom mais en français et on l'appelle Mina mais ... on s'en fout) pour reprendre le commentaire de Wilhelmina donc, moi, au contraire, je préfère 10000 fois Poe. Des goûts et des couleurs ...
RépondreSupprimerTout comme pour toi la magie a également opérée en ce qui me concerne. Ce style si particulier, loin de desservir le récit lui donne comme tu le fais remarquer à juste titre une aura des plus particulière et très plaisante.
RépondreSupprimerPour ma part aussi le charme a opéré, mais j'ai pas trouvé que le style de Lovecraft était particulièrement vieillot ou suranné (pourtant on peut pas vraiment dire que je sois un adepte des vieux classiques lol).
RépondreSupprimerEn tout cas, c'était que du bonheur à lire et j'ai hâte de pouvoir lire d'autres de ses écrits ^^
@ Wilhelmina : tu es la bienvenue, d'autant si tu trouves ton bonheur!
RépondreSupprimer@ Artutha : tu me fais pensé qu'il me faudrait replonger dans Poe, histoire de faire une comparaison de lecture fraiche.
@ El JC : on est sous l'emprise du reclus de Providence : "Cthulhu R'lyeh fhtagn" ;-)
@ Mr Zombi : heureux d'avoir partagé cette lecture de revenant avec toi. A une prochaine lecture commune j'espère!
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTu cites le "racisme" de Lovecraft.
RépondreSupprimerCet aspect de l'auteur n'est pas anodin dans son œuvre.
IL y est même primordial, pour Houellebecq, entre autres. L'innommable et l'indicible chez l'auteur ne seraient ainsi pour le français que la traduction de la phobie de l'américain envers le multiculturalisme et le métissage qu'il découvrit à l'occasion de son exil forcé à New York, en compagnie de son épouse, Sonia Greene (de confession juive !).
Sans "racisme", donc, pas d'œuvre de Lovecraft, ni plus ni moins...
Cela rajoute pour moi à l'aspect "écrivain maudit" du reclus de Providence. On pourra aussi préciser que le racisme peut se révéler très productif en littérature.
@ Anonyme : C'est vrai que Houellebecq le souligne particulièrement dans son livre sur Lovecraft. A mes débuts, cela ne me sautait pas aux yeux, aujourd'hui oui. Cela gâche parfois ma lecture de Lovecraft. Malheureusement, il semble que le racisme était de bon ton à son époque aussi. Ce ne serait pas pardonnable pour un auteur contemporain. La peur de l'autre a toujours fait tourner l'économie, la guerre... et la littérature. Idem en SFFF et particulièrement en space opera où l'on s'attaque aux effrayants extra-terrestres.
RépondreSupprimerCe n'est pas faux. Mais je pense que le racisme d'HPL tenait davantage de la névrose que du racisme "policé" qui était de mise à son époque.
RépondreSupprimerC'est chez l'Américain un sentiment paroxysmique et littéralement maladif, générateur d'oppression intense qu'il évacue en partie au moyen de l'écriture.
Cela ne me gêne pas particulièrement mais me fascine, plutôt, tant cela transpire de toute son œuvre.
Un véritable cas d'école comme on en rencontre peu en littérature.
C'est juste. Dans ce cas névrotique, il ne vole pas son statut de "reclus de Providence". Un cas qui finalement tient plus de la peur de l'autre que du racisme primaire finalement?
RépondreSupprimerOui certainement, car HPL avait finalement peu d'expérience de la "vraie vie" (il embrassa une femme -Sonia Greene- pour la 1ère fois à 34 ans, je crois, par exemple).
RépondreSupprimeril ne faut pas non plus négliger chez lui un racisme plus "élaboré", basé sur un sentiment réel de supériorité raciale et du refus du melting-pot à l'américaine. HPL fut, à une période de sa vie, un admirateur d'Hitler dont il avait lu le "Mein Kampf". Précisons que sa femme d'alors (Mme Greene) était juive ! L'homme n'était pas à un paradoxe près.
En effet, tout ceux qui l'ont connu sont formels : HPL était un ami formidable, doté d'une très grande générosité et grandeur d'âme.
Seulement, il s'est ouvert très tard au monde, et était très complexé.
En ce sens, effectivement, son racisme névrotique est en grande partie, je pense, lié à son isolement tardif.
Toutes ces réflexions me redonnent envie de lie du Lovecraft, ce qui est prévu d'ailleurs. Mon rejet primal de son côté raciste m'a éloigné de son oeuvre. Mais Lovecraft est un être étrange, compliqué et donc fascinant. On cherche à comprendre... Faut-il comprendre? Je relirai bien la bio écrite par Houellebecq que j'ai déjà lue d'ailleurs.
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